Mais comment va fonctionner votre société si les machines remplacent la plupart des métiers pénibles? Comment les gens vont-ils gagner de l’argent? Pourquoi les gens iraient travailler s’ils ont déjà les biens et services gratuitement?

Nous avons pu montrer dans l’article “Comment diminuer notre temps de travail de 70% et augmenter le niveau de vie de tous les citoyens grâce à l’automatisation et à un modèle économique de la gratuité et de l’accès?” que dans une EBR la plupart des tâches pénibles pourraient être automatisées. De plus, beaucoup de métiers deviendraient inutiles dans un nouveau système économique holistique où les industries fonctionnent en harmonie et où l’on ne serait plus obligé de vendre et d’acheter pour bénéficier d’un haut niveau de vie. Ceci augmentera considérablement le temps libre de toute la société, car il y aura beaucoup moins de tâches à se partager.

https://mouvement-ebr.fr/diminuer-notre-temps-de-travail-de-70-pourcent/

Mais à partir de là comment le modèle social fonctionne-t-il?

Bien sûr, certains métiers ne pourront pas disparaître et ne seront pas automatisables. Certains parce que ce n’est pas possible techniquement, d’autres parce que cela n’est pas souhaitable. Par exemple, une personne en fin de vie qui a perdu son autonomie n’aurait certainement pas envie d’être accompagnée par un robot, mais aurait besoin de chaleur humaine. Nous aurons donc toujours besoin de certains métiers. Nous aurons besoin de médecins, d’infirmiers, d’aide soignantes, de coiffeurs, d’enseignants, d’ingénieurs, de techniciens, de personnel de propreté, de logisticiens, d’informaticiens, d’agronomes, etc.

Grâce à cette nouvelle société plus efficiente, nous pourrions réduire notre temps de travail nécessaire à 1h par jour. Pour assurer ces tâches nécessaires nous mettrons en place un service civique qui se base sur le modèle du service public. Les métiers et les tâches nécessaires seront analysés en fonction des besoins de la communauté et seront accomplis lors d’un service civique de quelques heures par semaine. Ces services seront des services publics. En contrepartie de cela tous les biens et services seront accessibles gratuitement pour tous les citoyens, que ce soit la nourriture, le logement, l’accès aux équipements sportifs et culturels, au transport, à l’éducation, l’accès aux objets dans les bibliothèques de prêt d’objets.

Comment marche le service civique?

Dans ce service civique il n’y aurait pas de rémunération, mais un nombre de points à atteindre pour obtenir la retraite, c’est-à-dire que l’on pourrait bénéficier de tous les biens et services de la communauté sans avoir à travailler.

Comment marche ce système de points?

Il distingue les tâches en fonction de la pénibilité, de la complexité et du niveau d’études et d’expertise qu’il requiert. Ces points seront fixés en fonction de ces critères mais aussi de l’offre et de la demande pour les métiers. Par exemple, si peu de gens souhaitent faire un métier parce qu’il est plus pénible ou dangereux que les autres, comme technicien de retraitement des déchets ou pompier, ce métier gagnera proportionnellement plus de points. Ceci implique que les gens qui exercent ces activités auront besoin de moins de points pour atteindre la retraite, et devront travailler moins longtemps par semaine ou sur la totalité de leur vie. On aura ainsi toujours des personnes prêtes à faire ces activités, car le nombre de points montra toujours naturellement assez haut pour convaincre des citoyens d’accepter ces tâches en échange de beaucoup plus de temps libre.

Certaines tâches qui ne demandent pas de qualifications pourraient d’ailleurs être partagées par tous les citoyens. Par exemple, le ramassage des déchets sur les plages ne nécessite pas d’études longues, et on pourrait imaginer un système dans lequel tout le monde pourrait participer pour gagner des points de retraite. Bien entendu on ne pourra pas faire une rotation sur tous les métiers, car certains demandent une qualification trop importante pour pouvoir être accomplis de temps à autre. On ne devient pas chirurgien cardiaque en 2 semaines. Mais on peut très bien imaginer une société dans laquelle on exercerait plusieurs métiers quand cela est possible. Ceci permettrait de varier les activités des citoyens qui le désirent plutôt que de tomber dans la routine. Ce serait bien sûr un choix individuel.

Si quelqu’un n’est pas apte à travailler à cause d’une maladie ou d’un handicap il pourra bien sûr être exempté de ce devoir car il n’en a pas la capacité. Nous pensons aussi qu’il est nécessaire de garantir un accès gratuit au logement, à la santé et à la nourriture en toute circonstance, même si quelqu’un ne se présentait pas au travail et démissionnait de son poste. En effet, c’est un devoir commun de fraternité de toujours assurer la survie d’un citoyen et de ne pas le laisser mourir de faim, de froid ou d’une maladie. D’abord parce que le coût marginal de production serait faible en termes de ressources, mais aussi parce que cela mobiliserait plus de ressources (de coûts non financiers) d’assurer la survie de ces personnes si nous les abandonnions. Vous pouvez consulter pour cela l’article sur le coût des SDF dans la société actuelle :

https://mouvement-ebr.fr/une-societe-de-lacces-gratuit/

Il faudrait chercher à comprendre pourquoi il a quitté son poste, si c’est en raison de conflits avec ses collaborateurs, ou parce qu’il souhaite se réorienter. Par contre quelqu’un qui refuserait totalement de travailler et de ne pas s’investir dans les efforts de la communauté ne pourrait pas bénéficier de l’accès aux autres bien et services qui lui permettent d’avoir un haut niveau de vie, comme l’accès aux salles de sports, aux salles de spectacles, aux cantines, aux crèches, aux bibliothèques de prêt d’objet etc. Cela garantirait que les gens fassent un minimum d’efforts pour ne pas se sentir exclus par rapport aux autres mais aussi que la société fonctionne. Il s’agit juste d’un simple contrat social, nous ne forçons personne à travailler, mais si vous voulez bénéficier de tous les avantages fournis par la société il faut simplement faire sa part en échange. Une société comme le Venus Project qui estime que l’on pourrait donner tout à tout le monde sans que personne n’ait aucune obligation en échange ne fonctionnerait pas.

Est-ce que cela veut dire que les gens ne vont pas travailler eux-mêmes en dehors des heures obligatoires de service civique?

C’est finalement assez triste que les gens puissent se poser cette question. Leurs perspectives ont été réduites dans une telle mesure qu’ils n’ont pas d’autre manière de voir la vie que par l’exercice d’un emploi qu’ils n’aiment pas toujours ou qu’ils feraient uniquement pour l’argent. Les enfants, lorsqu’ils sont jeunes, sont curieux de tout. Si cela était entretenu chez eux, les enfants pourraient disposer d’un éventail de centres d’intérêt et de capacités bien plus larges. La culture actuelle fonctionne parfaitement lorsqu’il s’agit de limiter les intérêts, les opportunités et les capacités des gens, de sorte qu’elle les conditionne à être paresseux. Les gens auront tout loisir de s’adonner aux domaines qu’ils aiment, que ce soit la musique, les arts, le sport, le voyage, le développement personnel, l’astronomie, la biologie, les mathématiques. Des grands génies comme Einstein, Tesla ou Pasteur ne faisaient pas leurs découvertes pour l’argent, mais bien par passion et par curiosité. En réalité, quand on étudie scientifiquement les mécanismes de l’incitation et de la motivation dans les domaines intellectuels, créatifs et artistiques, on se rend compte que la rétribution financière est même contre-productive. Il y a un nombre incroyable d’études très intéressantes à ce sujet. 


Par exemple, une étude a été menée par 4 économistes des plus prestigieuses universités américaines: 2 économistes du MIT, le Massachusetts Institute of Technology, 1 de l’université de Chicago et un de l’Université Carnegie Mellon. Ils ont pris des groupes d’étudiants et ils leur ont donné des séries de tâches à effectuer. Certains devaient faire des tâches mécaniques et répétitives comme poser des vis pendant plusieurs heures, ou des tâches plus créatives et intellectuelles comme mémoriser des séries de nombre, faire des mots croisés, résoudre des énigmes en 3 dimensions, ou même des activités physiques comme lancer un ballon à travers un cerceau.

Pour les motiver, ces chercheurs ont essayé de voir si une récompense monétaire leur permettrait de mieux accomplir les tâches. Un des groupes n’avait pas de récompense financière (sans savoir qu’un autre groupe test en aurait). Pour l’autre groupe, la récompense s’est organisée sur 3 niveaux. S’ils performaient assez bien ils avaient une petite récompense : 20 dollars. S’ils performaient bien, ils avaient une récompense moyenne, 35$ et s’ils faisaient partie des meilleurs ils obtenaient la plus forte récompense, 50$. Cette manière de récompenser les gens est un schéma classique d’organisation dans l’entreprise. On récompense les meilleurs performers et on ignore les moins bons.

Les résultats ont été totalement inattendus. Tant que les tâches n’impliquaient que des actions mécaniques et répétitives, le système de récompense a marché, plus importante était la récompense, plus importante était la performance.
Mais une fois que les tâches faisaient appel à des performances intellectuelles et créatives, même rudimentaires, la récompense monétaire conduisait à de plus faibles performances.

Ces économistes, assez perturbés par le résultat de leur expérience ont voulu reproduire l’expérience ailleurs, et se sont demandés si une récompense de 50$ n’était pas trop faible pour des étudiants du MIT, et si l’étude avait été biaisée. Ils ont donc décidé de refaire l’expérience ailleurs, dans un endroit ou 50$ ont une bien plus grande importance, puisqu’ils sont allés tester les compétences créatives et intellectuelles dans le Madurai en Inde rurale.

Là bas les petites récompenses étaient l’équivalent du salaire de 2 semaines de travail. La récompense moyenne était égale à l’équivalent d’un mois de travail, et la plus grande récompense était équivalente à 2 mois de salaire.

Quels ont été les résultats de cette expérience?
On a constaté que les gens qui recevaient la récompense moyenne ne faisaient pas mieux que ceux à qui on donnait la petite récompense. Mais pire encore, ceux qui ont gagné la plus grande récompense ont eu de plus mauvaises performances que le groupe qui l’avait fait gratuitement. Ce genre d’études a été répliquée maintes et maintes fois par des psychologues, des sociologues et des économistes.

Lorsque l’on affine les recherches dans le monde du travail on constate les faits suivants. On a remarqué que si on ne payait pas bien les gens de manière générale, ils performaient mal, mais une fois que l’on a atteint un certain seuil salarial, la productivité et la motivation ne dépendaient plus du salaire mais était régie par 3 critères essentiels :

– L’autonomie
– La maîtrise
– Le sens

L’autonomie c’est le désir de diriger nos propres actions, de diriger nos vies ce qui est d’ailleurs en opposition directe avec les méthodes traditionnelles de management. On a pu constater scientifiquement que si vous cherchez de l’engagement, et si vous voulez que les gens excellent dans des tâches plus compliquées et sophistiquées, alors la décision doit être autonome, ce doit être leur choix.

A ce titre, illustrons l’histoire de l’entreprise australienne Atlassian, une entreprise qui développe des logiciels. Une fois par trimestre, un jeudi après-midi, l’entreprise mettait en place un programme vraiment cool. Leurs développeurs avaient le droit de travailler pendant 24h sur ce qu’ils veulent, sur n’importe quel projet qui leur plaît et avec les collègues de leur choix. La seule condition était qu’il fallait qu’ils présentent ce qu’ils avaient réussi à faire devant tout le monde à un meeting qui ressemblait plus à une fête, avec de la bière et des gâteaux. Le résultat a été sidérant. En juste 24h, ils étaient parvenus à trouver des solutions sur de nombreux bugs qu’ils n’avaient jamais réussi à corriger, et tout un tas de nouveaux projets et de nouveaux logiciels et produits avaient pu voir le jour. Ces choses ne seraient jamais arrivées sinon.

D’ailleurs ils auraient pu ne jamais mettre en place ce programme et juste donner un bonus de 2500$ de motivation pour la créativité. Mais le résultat n’aurait jamais été le même. Les gens n’ont pas eu besoin d’argent pour montrer qu’ils étaient motivés, ils étaient juste heureux de pouvoir montrer devant tout le monde qu’ils étaient capables de faire quelque chose d’extraordinaire, qui a du sens pour eux, et tout cela de manière autonome.

La maîtrise se définit, elle, comme le désir d’être meilleur dans un domaine, d’y exceller. Par exemple, c’est pour cela que les gens aiment faire de la musique, du sport, de l’art, des choses qui peuvent paraître irrationnelles économiquement, puisque cela ne leur rapporte pas d’argent. Mais les gens le font juste parce que c’est amusant, qu’ils éprouvent une fierté à le faire, et un plaisir à maîtriser un art.

Illustrons un autre exemple de travail spontané fait par plaisir. Imaginons que nous remontions le temps et que vous alliez voir votre professeur d’économie. Vous lui dites: “Monsieur, j’ai une super idée de business, je veux créer une équipe de gens partout dans le monde, qui font un travail super compétent et super qualifié, mais ils veulent le faire gratuitement! Ils donnent de leur temps gratuitement, 20h par semaine parfois 30 !” Votre prof commencerait à vous regarder de travers en haussant le sourcil et vous lui dites: “Oh attendez, ça n’est pas fini, car ce qu’ils ont créé, ils vont le donner gratuitement plutôt que de le vendre, ça va cartonner ! “ Votre prof aurait pensé que vous étiez fou, et pourtant c’est exactement ce qui s’est passé dans le monde avec les projets open source !

Par exemple, Linux alimente aujourd’hui les serveurs d’une entreprise sur 4 du Fortune 500. Apache, alimente la plupart des serveurs web. Wikipedia est la plus grande encyclopédie du monde avec plus de 30 millions d’articles dans 280 langues. Tout cela a été accompli gratuitement par des gens très diplômés et compétents, qui ont des boulots à côté.

Pourquoi? Parce que les gens aiment le challenge, la maîtrise et la contribution à quelque chose qui a du sens pour eux. La science montre qu’une fois qu’un haut niveau de vie est atteint, comme dans une EBR, les gens ne cherchent pas à maximiser le profit, mais à maximiser le sens de leur vie.

Donc que se passe-t-il si un oncologue – qui est sur la liste des métiers indispensables et utiles à la société – aime tellement son travail et qu’il dépasse son quota d’heures imposées par le service civique?

Et bien cela risque d’arriver très souvent et c’est une bonne chose, car beaucoup de métiers non automatisables et indispensables sont passionnants ! Si cet oncologue travaillait tellement qu’il obtenait son nombre de points très jeune et qu’il pouvait partir à la retraite à 35 ans – nombre arbitrairement choisi – il le pourrait ! Mais il pourrait aussi rester travailler dans son activité qui est sa passion s’il le désire, ce qui sera le cas le plus probable ! Un oncologue peut adorer son travail car il est fier de sauver des gens, se sent utile et trouve un sens à sa vie à exercer son activité. Le travail spontané sera justement valorisé dans cette société où les gens pourront donner libre court à leurs envies créatrices, dans des domaines passionnants, que ce soit l’art, la musique, l’artisanat, l’enseignement, la médecine, l’astronomie, les mathématiques, la biologie, ou l’histoire.

Tous les moyens leurs seront donnés pour qu’ils puissent réaliser leurs recherches, qui permettront de mieux comprendre le monde qui nous entoure et d’améliorer notre niveau de vie. Les gens pourront s’épanouir dans des métiers passion qu’ils aiment. Nous aurons pléthores de médecins, d’enseignants, de mathématiciens, de botanistes ou de physiciens bénévoles en dehors de leurs heures de service civique. D’ailleurs le métier de chercheur sera beaucoup moins contraignant qu’aujourd’hui puisqu’ils passent la moitié de leur temps dans la paperasse administrative pour pouvoir obtenir des crédits de recherche. Dans une EBR ces verrous ne seront plus un frein à la recherche.

Si vous souhaitez savoir comment quelqu’un pourrait obtenir un bien ou un service qui ne serait pas offert par le service public, vous pouvez consulter cet article :

https://mouvement-ebr.fr/biens-et-desirs-supplementaires/

Pierre-Alexandre Ponant

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